lundi 17 août 2009

Toulon, 2001

L'EGOS

Ouvrir la scène au " corps qui parle". Sujet rédhibitoire et attirant. Rédhibitoire notamment dans son format: le texte ne sera présenté que sur une période de dix minutes et pour cinq comédiens. Organiser une dynamique qui n'ait pas l'aspect cultuchiant et prise de tête qui fait que le Saint Cyrien sera autant intéressé et touché que le trisomique en week- end de son CAT, faire de ces dix minutes un caillou lancé à la surface de la mare de notre bonne pensée petite bourgeoise, n'est pas une gageure facile. Attirant parce que le noyau du sujet : le corps est un noyau universel. Aucun être humain ne peut ignorer l'existence de son lui - même à travers son corps.
J'offre alors une solution intermédiaire au metteur en scène. La pièce pourrait durer dix minutes comme elle pourrait durer quatre heures. La mise en scène décidera du moyen de résoudre la problématique du temps.


Sur la scène, au lointain, un appareillage ( écran diapo, écran télé, ordinateur, acteurs au visage caché…) permet de mettre en lumière une partie de corps. A chaque partie correspondent plusieurs textes. Tous les textes peuvent être dits, ou un seul ou une partie d'un seul ou de plusieurs. Pour que les textes soient prononcés les acteurs doivent utiliser toutes les stratégies physiques que leur permet leur nature (violence, séduction, force…)

Les parties du corps sont appelées "image" dans ce texte, mais il s'agit d'abord d'une image de type théâtrale laissée aux soins u metteur en scène.


Image 1: Oreille

Texte A: Par elle, venait le son de ta voix. Les frissons suivaient qui descendaient jusqu'à mon ventre. Je suis si sensible à tout ce qui me vient de toi. Dis seulement un mot et je serais ici. Le vent n'a pas fini de siffler, il vole de moi à toi, de toi à moi, de nous à nous. Approche, toi que j'entends, approche et offre moi, ici, les rêves inavoués de chair coupable. La musique est un art pensé et torturé par des génies. Ce que j'entends est bien au - delà de tout ce qu'ils ont pu, peuvent, pourront faire. Tu es la musique de moi - même. Seul le silence a autant de pouvoir que toi. Il me hurle ton absence. Je ne veux pas l'entendre. Je ne veux pas souffrir. Je veux ta voix près de mon oreille, tes mots pénétrant mon corps et m'entraînant à jouir de te savoir là, si près si loin. Pourquoi je ne t'entends plus?

Texte B: L'ouïe est un des sens principaux que nous avons connus très tôt à l'école. L'instituteur ou la maîtresse se dressait du haut de l'héritage poussiéreux d'années d'apprentissage. Je voyais son long bec s'avancer pour régurgiter un savoir auquel il n'attachait d'autre importance que de le mémoriser. " l'ouïe est le sens qui se rattache à l'oreille formée du pavillon externe, du conduit, du tympan, de l'oreille interne, du marteau et de l'enclume." Ils en faisaient une d'enclume, tiens! Si nous étions dotés de l'ouïe, elle était imparfaite, nombre de mammifères pouvaient nous considérer comme sourds. La chauve - souris percevait les ultra - sons, l'éléphant échangeait des infra - sons. Le maître ou l'institutrice n'y entendaient rien. Ils ne réalisaient même pas que pour accomplir la tâche de retenir leur information nous usions nos oreilles à la crécelle de leurs voix. Le pire, alors, était quand ils nous lisaient de la poésie. Taisez - vous! L'oreille ne peut être l'organe récepteur de vos singeries vocales, où avez - vous mis votre cœur?
Texte C: Ecouter les ordres. Les appliquer. Le son arrive au cerveau, il est directement traduit par une activité physique. Surtout, ne pas prendre de recul, ne pas chercher à comprendre. Entendre, obéir et agir. Naturellement, certains petits malins croiront pouvoir dénigrer l'ordre. Ils ne feront qu'assujettir cet ordre à un autre ordre. Les penseurs ne font qu'obéir à plusieurs ordres en même temps et cherche l'application active de tous ces ordres contradictoires. Vous voulez être libres? Soyez sourds. Même pas, puisqu'il vous faudra un autre langage avec des ordres traduits à ce nouveau langage. Ma liberté s'arrête où commence celle des autres. Obéir. Donc pas de liberté. Désespérant. Accepter ce mensonge illusoire de la liberté. La liberté est un concept. L'existence le corrompt. Le général, le curé, le père, la mère, l'amant, l' amante, les professeurs, l'autre tous envoient des ordres qui obéissent aux ordres entendus. Entendre, écouter, obéir, exister, prospérer. La liberté est le néant.

Texte D: Vint le temps sournois des musiques sourdes,
Le silence agitait l'osier du commandement,
Enfouis sous les eaux usées du vide de nos gourdes,
Nos larmes séchaient de notre isolement.
Vint le pas austère des criminels de la Ruhr,
Les hurlements sang, tripes des enfants
Cachés sous le secret des machines trop lourdes,
Nos pleurs à nos peurs criés divinement.
Hier, dites - vous? Hier, les assassins, les cris, les râles
Hier, encore, les plaies, les victimes, les morts si pâles?
Maintenant, l'oubli, l'amnésie, l'ignorance fière
Maintenant, le babil étouffé des pauvres cimetières.
Demain, ils hurleront à nouveau et laveront vos mémoires,
Demain, vous hurlerez avec eux, sourds de cette Histoire…

Texte E: Antonio? Tu m'écoutes? Ce ne sera pas possible. Je ne pourrai pas le faire. Je ne veux pas. Tu n'as qu'à le faire toi - même. Peut - être. Peut - être que je suis trop lâche, Antonio, peut - être que je ne mérite pas le nom d'homme. Mais, je ne sais pas, tout cela me semble sale. Sale, oui. je veux pouvoir entendre le son de ma voix sans rougir de honte de ce que j'aurai fait. J'ai une famille Antonio, un petit gars qui me regarde le matin et qui me dit " papa", tu crois que je pourrais continuer à sourire si je le fais? Tu crois que mon enfant ne pèsera pas de tout le poids de son innocence chaque matin? Non, Antonio, je ne veux pas le faire. Tu peux le dire aux autres. Tu peux leur dire qu'ils peuvent me tuer si ça leur chante. Mais quand ils me porteront le coup fatal qu'ils pensent à leurs enfants comme je pense au mien et nous verrons si tu trouveras quelqu'un pour le faire…



Image 2 : nuque



Texte A: Se masser la nuque. Un geste quotidien, silencieux et d'une si douce tranquillité. Là, je pose mes doigts et ils glissent dans le rail et en sortent. Ma paume vient se caler au creux du chaud. Mouvement circulatoire, circulaire. Combien en ai - je vu que je regardais faire ce geste personnel, intime, en public. Besoin d'un délassement à l'arrêt d'autobus avec le fatigue de la veille que le sommeil n'a pas totalement effacée. Le plus touchant est quand ce geste révèle une gêne une timidité que la rougeur peut accompagner. L'aveu de ne pas savoir quoi faire de la foule d'émotions qui se présentent. Tout petit, déjà, ma nuque était un endroit privilégié de mes sensations. Ma mère me caressait la nuque, mon père me prenait par le cou, le souffle du surveillant qui lisait ma copie par - dessus mon épaule et puis les lèvres de mes partenaires qui venaient se nicher là, oiseaux égarés qui trouvaient un nid de passage. J'ai toujours tendu la nuque, je l'ai toujours offerte et pourtant, je n'ai jamais baissé le front.

Texte B: Les ombres sur la paroi du silence cachent le temps,
La lumière alors ne parle que des nuques en croissants,
Ils sont maigres, affamés, chétifs, hésitants,
Marqués à jamais de rides, de rires, d'eau et de sang.
Ils ne bougeront plus d'ici et, de temps en temps,
Ils remueront comme de pauvres buissons ardents,
Fuyant la brûlure, pauvres et lâches innocents
Courbant leur petit peu d'un rictus dégoûtant,
Fiers de leur sueur, méritoire vomissement.
Hier, montrés comme des chiens, des larves, des taons,
Hier, pénitents sûrs raillant l'ire des passants,
Maintenant, ils se cachent, disparaissent un temps
Maintenant, meurent de froid, de la pluie et du vent.
Demain, ils soulèveront la boue et tout autant
Demain, maculeront ceux qui crachaient leur sang.

Texte C: Approche, approche, amour, montre ta nuque que je me couche sur toi. Cache tes yeux, je ne veux pas baiser avec ton regard. Je veux tes cheveux lisses qui dévoilent le secret de ton dos. Tout mon corps s'étale sur le lit du tien et mes yeux s'attachent à l'arrière de ton cou. Nous ferons l'amour dans cette position et nous nous damnerons aux églises malades parce que de cela rien ne pourra naître que notre jouissance. Approche, approche que je sente le parfum acide de ta sueur sur ton dos et que je lise sur les deux sillons le rythme chancelant de ton désir. Abandonne toi, mon amour, je commande à présent et te demande obéissance. Ne va pas t'étonner de mes manières, elles ne me sont dictées que par la folie de nos désirs charnels. Tourne moi ainsi ton visage que je ne veux qu'entendre et ne plus voir. Je mets mon amour à l'épreuve car je prétends te lire aussi bien qu'en tes yeux. Tu es une offrande à mon aveugle amour, un morceau de rêve, un nuage de musique…

Texte D: C'est pourtant simple! Tu le mets de dos et tu appuies l'arme sur la nuque, là, juste là. Appuie bien le canon que le recul de l'arme ne te surprenne pas. Le mieux, encore, c'est de le coller à terre et de t'asseoir sur ses reins. Il bougera moins et tu pourras mieux appuyer l'arme. C'est la façon d'appuyer qui est intéressante. Les ampoules dans mon enfance. Mon père couché sur le ventre, le torse nu, ma mère avec ses ampoules. Un morceau de coton qu'elle enflammait et puis, hop je te renverse sur le dos! Quand on enlevait les ampoules avec leur petit morceau de coton carbonisé, il y avait la marque du bord, ocre sur le dos de mon père, comme une grosse chatte ouverte! S'il ne bouge pas, si tu es sûr de ta prise, appuie fort le canon puis retire - le avant de tirer. Tu verras deux petits ronds dans la peau de sa nuque, comme deux petites chattes l'une dans l'autre, c'est là qu'il faudra tirer pour lui ôter la vie.


Texte E: Les chats crevés. La république des chats crevés. Voilà ce que doucement nous voulons devenir. Nous nous attachons à quoi, finalement? Avoir un bon salaire pour payer une bonne éducation à nos enfants qui pourront à leur tour… Cela assuré, il nous en reste un peu. Pour faire quoi? Améliorer le monde, il faut pas rire… Améliorer notre monde, c'est déjà pas si mal. Nous acheter une liberté sous plastique qu'on retourne avec de la neige qui tombe. Vous croyez que je vais vous sortir le sempiternel refrain de ceux qui nous dominent et qui se moquent de nous. Pauvres! Ce serait bien simple. On prendrait un fusil, une balle dans la nuque et on en parlerait plus! Mais ceux qui nous vendent de la liberté Gel- o, pourquoi croyez - vous qu'ils font ça? Pour les mêmes raisons que nous, penser à leur gosse et qu'il y en ait un peu de côté pour s'acheter une liberté factice classe plus luxe que nous, d'accord, mais artificielle quand même. Il n' y a aucune nuque qui mérite vraiment d'être tirée ou alors toutes, en commençant par la mienne, enfin, si j'ai la liberté de choisir…


Image 3 : épaule

Texte A : Appuyés sur le mur de leurs fugaces fatalités
Ils regardent passer, mâchonnant, le sombre train
Ils ont dans leurs reins la langueur des longs étés
Et le lent passage de la plume au lourd airain.
Ils ont vécus ignorants leur lente vitalité
Et s'appuient pour s'éteindre peut - être sereins
Ils ne veulent plus fuir, courir, ils sont arrêtés
Et ne respirent plus qu'un sifflant refrain.
Hier, ils étaient, jeunes, beaux et exaltés,
Hier ils aimaient la nuit, oublieux du matin.
Maintenant, ils s'appuient sur l'aube épatée
Maintenant, ils s'effacent sans nul entrain.
Demain, sur le mur, leur épaule crochetée,
Demain, une virgule, un dernier coup de frein.

Texte B : Nous rentrons dans la mêlée, épaules jointes, regards fermés. Nous savons qu'en face il y aura la même envie de pousser de faire reculer le mur que nous voulons défaire. Les os sont durs, les tendons noués et nous ne voulons pas céder. Vient le choc des corps et les respirations haletantes et tièdes qui échappent de notre effort. Dans nos dos un granit se met en mouvement, broyant nos bras, nos épaules. Nous crions de rage, de désespoir de ne sentir rien bouger et, d'un côté comme de l'autre, la folie gagne. Nous poussons plus forts et nos corps rentrent dans nos muscles et nos têtes s'enfoncent dans nos corps. Il n' y a plus rien qu'un entrelacs de bras ligotés sur les nœuds gordiens de nos épaules. La douleur a disparu. Nous sommes légers, libres. Nous trouvons le Walhalla. La liberté était à ce prix de nous enfoncer les uns les autres pour nous enfoncer en nous mêmes. Sur le terrain de la bataille, les combattants ont disparu, effacés par un hurlement de bête. Seuls, suspendus dans les airs des mains, des bras et des épaules se tiennent enlacés en un amour obscène.

Texte C : J'en ai connu des blessures et pas des petites. Un jour, le patron m'avait demandé de l'accompagner. A l'époque j'étais jeune et un peu naïf. Comme un con, je croyais que c'était bon pour moi que le patron me prenne avec lui, le salaud. En fait, il savait qu'il y aurait des problèmes. Il n'a rien dit. Seulement quand on est arrivé, il m'a dit de descendre. Moi, je croyais que c'était seulement parce qu'il ne voulait pas que j'entende. Tu parles! A peine j'avais posé le pied par terre, voilà que les abeilles se mettent à bourdonner autour de moi. Pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait qu'une me piquait à l'épaule. Juste là. Tu vois la cicatrice? Il y a la même de l'autre côté. La balle elle est passée comme si elle était chez elle. Mais elle est pas restée. Putain, je pissais le sang. J'avais tellement mal que je pouvais même pas crier. Je croyais que c'était le cœur qui était touché. Je pensais que j'allais mourir. On m'avait arraché le bras. Si je bougeais il allait tomber et j'allais crever là manchot. Tu sais ce qu'il a fait le chef? Tu sais pas ce qu'il a fait cette enflure? Il a reculé la voiture et à cent mètre d'où j'étais, il a ouvert la porte et il a attendu. Il voulait peut - être que je me traîne jusque à lui?

Texte D : Quand je suis entré au service militaire, c'était le texte à la mode "nous sommes là pour vous épauler ! " Je ne sais pas quel est le petit génie qui avait insufflé cette idée dans le crâne obtus de mon sergent - chef, mais, en tout cas, il n'en démordait pas " ne vous inquiétez pas, l'armée va vous épauler". Ca avait un drôle de son cette phrase répétée à l'envi. Comme s'ils n'étaient pas eux - mêmes convaincus et qu'ils voulaient exorciser leur doute en répétant sans cesse la même phrase. Une méthode Coué pour plusieurs récepteurs. Je n'aime pas l'armée. Du moins je ne l'aime plus. Quand je suis arrivé, cette répétition effrénée me faisait sourire, un peu comme le bon papa qui sourit à son enfant. Mais je me suis rendu compte. L'épaule, dans l'armée, c'est l'endroit où on vous colle des barrettes. Quand vous n'en avez pas tout le monde vous épaule, c'est à dire que vous devez faire ce que tout le monde vous dit, c'est pour votre bien, parce que vous ne savez pas. Les barrettes arrivent et vous épaulez certains, le plaisir d'épauler et de vous dire qu'on vous est redevable, mais d'autres vous épaulent. Un peu de plaisir et toujours savoir qu'on ne sait pas, qu'il yen a un seul, en haut de la pyramide qui sait. L'armée est en retard, pas étonnant que Dieu y ait encore ses entrées…

Texte E : J'aimais beaucoup l'été. La période des débardeurs. Celle où les épaules se dénudent et où seulement un petit morceau de tissu vient tracer une ligne de la poitrine au dos. Quand tu passais près de moi, t'en étais - tu seulement aperçu(e), c'était un jeu pour moi que de tenter de voir sous le tissu le mouvement gracieux de ta poitrine. Savoir que là un cœur battait, peut - être pour moi… Lorsque la nuit tombait et que nous nous retrouvions côte à côte, je venais me coller à toi et je sentais une épaule contre la mienne. Un baiser sans lèvres et qui racontait notre connivence. Je voyais la veine qui battait sur ton cou, papillon fragile que tout ton caractère ne pouvait dissimuler. Elle était pleine de sang, chaude de vie. C'est à la proximité de nos épaules que je devais ce spectacle. Quand nous nous disputions, nos épaules restaient orphelines et il faisait frais dans mon cœur. Aujourd'hui, elles sont seules depuis trop longtemps…Il n'y a plus ton épaule et nous sommes encore en été. J'essaie de jouer dehors avec les passants en débardeur. Certains ne s'en rendent pas compte, ou font semblant. D'autres me dévisagent et ne me disent rien. Savent - ils combien je suis seule? Le crépuscule arrive et il n'y a rien à côté de moi. Je passe la main sur mon épaule, cela n'a pas le même goût.

Image 4 : cœur

Texte A : Il y a une semaine, aux Etats Unis, un homme s'est vu transplanter un cœur artificiel. Aujourd'hui, il est toujours vivant. C'est un miracle. "Je n'entends plus son battement, mais un ronronnement". Nous avançons vers l'ère du remplaçable. Bientôt nos organes vitaux pourront être remplacés par des machines humaines et nous mourrons moins, moins vite. Le facteur qui a créé l'être humain, facteur déique ou naturel voit peu à peu sa part rognée par le créé. Il faudrait sauter de joie. Nous avancerions dans la lutte contre la mort. Dans quel but? L'immortalité? Sommes - nous prêts? Le serons - nous seulement une fois? Le jour où la nouvelle est apparue, ailleurs on avait tué par balles quelques âmes. C'était le triste lot des violences humaines. Bientôt on récupérera les corps, on remplacera la pièce cassée et en avant, continuons notre guerre. Celle - là même, alors aura - t - elle moins de sens? Il y a de quoi être troublé. Cette petite merveille anatomique qu'est le cœur n'est déjà plus qu'une possible mécanique mélangeant électronique et électrique. Finie la cellule, arrive la résistance. Le monde devient fou, je veux disparaître avant que la folie ne se propage plus ou alors être suffisamment débile dans mon corps pour ne plus intéresser la médecine et observer, mon cœur saignant de toutes mes larmes les hommes perdre le sens de leur humanité…

Texte B :Souvent ma mère posait sa main sur son cœur. Elle avait à peine vingt ans quand son père mourut d'un cancer et elle était persuadée qu'elle irait à la tombe avec une de ces maladies du siècle. Pourquoi pas une crise cardiaque? D'ailleurs, elle avait du diabète, du cholestérol aussi. C'était, pour elle, une manière de déjouer le destin que de devancer ce qui la tuerait. Pauvre mère qui ignore tout de la malice du destin. C'est le bas de son dos qui la fit vieillir avant l'âge et sa surcharge pondérale. Elle n'en mourut pas, non. Elle n'est toujours pas morte. Mais chaque fois que je la vois, elle reparle de sa fin. Chaque fois, elle a vu un nouveau médecin ou a gardé le même, peut - être avait - il plus de patience. Il y a longtemps que je ne l'ai pas vu poser sa lourde main sur sa lourde poitrine et baisser la tête attentive à un déboîtement du rythme. Mais non, sa main est descendue et se pose au - dessus de ses lourdes fesses et elle redresse la tête, les yeux pleins de larme parce que la douleur lui rappelle qu'elle est désespérément vivante. Je suis sûr que son cœur est tout petit et délicat comme une perle noire. Ma mère ce qui la tuera c'est qu'elle voulait aimer le monde entier et qu'elle n'a jamais trouvé les mots pour s'aimer suffisamment elle - même.

Texte C : Pourquoi attache - t - on au cœur le siège de l'amour? M'as - tu une fois, une seule caressé le cœur? La poitrine, souvent, tu me mordillais même le téton et c'étaient une sensation délectable, mais le cœur? Peut - être que le fait que nos cœurs palpitent plus vite quand nous aimons a - t -il son importance. Mais nos cœurs palpitent plus vite aussi lorsque nous sommes effrayés ou en colère. J'ai beaucoup de mal à croire que ces émotions sont liées à l'amour. Ce que je sens quand je pense à toi? Un ciel dans ma poitrine et une multitude d'oiseaux mouches qui battent des ailes deux cents fois à la minute. Une douceur atroce parce que je voudrais ne plus m'en passer et désirer cela c'est déjà savoir que cela aura un fin. Le terme cœur brisé est stupide. Je n'ai pas le cœur brisé. La mort serait là. Je suis toujours en vie. Je n'ai plus goût à rien. Seuls des enfants qui jouent me torturent un sourire. Le reste est fade et mon cœur bat régulièrement mais avec plus de volume comme s'il voulait me dire que je suis toujours là même si toi tu n'y es plus. Quand je ferme les yeux, je revois nos instants, les miens maintenant, je présume. Mais mon rythme cardio - vasculaire ne semble pas s'accélérer il garde un sérieux de métronome. Je ne respire pas plus vite. Fermer les yeux c'est rêver. Rêver c'est dormir. Le passé dure dans le sommeil et mon cœur est paisible quand je dors. Alors pourquoi j'ai si mal? Et où, si ce n'est pas au cœur?

Texte D : Un mouvement de la main, une peau de tambour
Au centre de la peau, nu un sorcier s'agite,
Il appelle des dieux aux noms fous de calembours,
Il chante, crache, avale, mâche, régurgite.
Nous voulions un monde clos puant d'amour
Où il fait bon vomir quand la barque prend du gite
Où nous regarderions nos elfes grandir, nous à rebours
Une sinistre idée d'un bonheur pâle qui s'agite.
Hier, les idées étaient simples, inutiles et vaines
Hier, on y croyait sans pensée et sans peine.
Maintenant, nous sommes perdus, muets et sourds
Maintenant, nous sommes fous et lourds si lourds
Demain, d'autres idées d'artificiels édifices
Demain, d'autres mensonges, vérités factices.

Texte E : Fiston, écoute - moi. Je vais devoir faire quelque chose que je ne veux pas faire. Tu pourras me demander pourquoi. Je ne serai pas là pour te répondre. Ne le demande pas à ta mère, tu la ferais pleurer. Ta mère est trop belle pour la rider de ses larmes. Parfois, les hommes marchent à reculons sur des sentiers qu'ils n'auraient jamais dû trouver. Cela ne les empêche pas de se perdre comme tout le monde. Nous ne nous reverrons plus. Alors écoute ton père une dernière fois. Je ne te dicterai rien pour ta vie à venir. Tu feras comme il te semble et décideras tout seul si l'honneur est une valeur d'importance qui vaut que des cœurs saignent pour elle. Je te parlerai seulement du ciel, la nuit. Quand tu seras triste ou heureux, quand ton ventre sera plein ou que la faim te serrera les côtes, la nuit regarde le ciel et les étoiles et sache que quoiqu'il arrive à toi ou à tes proches les étoiles brilleront toujours. Sais - tu que les étoiles sont des soleils morts dont l'éclat arrive bien longtemps après leur disparition? Comment avoir peur de la mort, alors quand un soleil mort depuis des milliards d'années brille encore dans les yeux des enfants, de leurs enfants et des enfants de leurs enfants? Si je ne suis pas là, mon cœur probablement aura cessé de battre, mais regarde les étoiles et dis - toi qu'il brille encore. Choisis une étoile, ce sera mon cœur. Toute ta vie, quoiqu'il arrive, elle brillera pour toi, il battra dans l'obscur pour toi. Regarde les étoiles, elles sont les lampadaires de nos destins. Je t'aime mon fils. Adieu. Embrasse ta mère. Antonio, nous pouvons y aller.


Image 5: ventre

Texte A: Mon ventre m'a toujours donné du souci. La partie du corps visible sur laquelle s'appuie aucun os et qui contient quinze mètres d'intestin, un estomac, un foie et toute une série de petits organes. Comment voulez- vous qu'à la fin le tout ne devienne pas une sorte de poche, une parturition asexuée? Il ne reste qu' à les muscler. Les abdominaux. Très tôt, j'ai compris que je n'avais pas vraiment le choix, je n'ai jamais su manger avec lenteur, cela m'ennuie. Il faut manger pour vivre. Je ne voulais que vivre pas manger. Alors l'estomac enfle. Un jour ma mère nous annonça que nous aurions sous peu un petit frère ou une petite sœur. Son ventre enfla, pourtant elle mangeait toujours aussi lentement. Y avait - il un lien entre mon estomac enflant et le ventre où nichait sa progéniture. Non disent les spécialistes. Oui répond le poète. L'un et l'autre me renvoyaient à la vie, si chère, si courte et si insupportable. Le ventre de ma mère dénonçait la laideur de notre condition de mammifère et l'enflure de mon estomac celle de notre statut d'omnivore que nous partageons avec les porcs. Qu' y a - t - il dans un ventre? La machine à merde si nous nous attachons aux aspects extérieurs, la marque de la vie si nous creusons plus loin, le choix de l'abandon ou de la fermeté. Ni l'un ni l'autre n'ont plus de valeur. Il n'y a pas d'os dans un ventre, il nous renvoie à nous - mêmes, il sera ce que nous sommes, la maternité en fait ce que l'humanité deviendra.
J'ai fini par faire des abdominaux.


Texte B :L'homme est un ange aux pieds dans la boue. Tout est dans son ventre. Les affamés ont le ventre qui enfle comme s'ils avaient trop mangé. Un ventre tendu est autant un signe de mort qu'un ventre trop maigre. Etranges symbolique que nous nous refusons de regarder plus pressés que nous sommes à nous attacher à ce qui vient en dessous. La partie dissimulée. Les organes génitaux sont l'objet des convoitises inconscientes? Stupidité culturelle qui s'attache plus au paraître qu'à la vérité. La vérité, elle s'étale sous nos yeux, sur la peau des ventres. Le salaud aura - t - il un ventre de sacrifié? Ventre, lieu de vie, place de l'espoir. La cacophonie des bavards obsédés expliquait que la femme était rejetée de l'histoire de notre société à cause de son sexe lieu de plaisirs, de naissance, d'expectoration… Et puis quoi encore? C'est la jalousie des hommes de ne jamais voir leur ventre porteur du message du monde qui les a fait chasser la femme. Elle détient depuis le début la clé du monde. Sans le ventre de la femme, pas de monde, pas de désir de liberté, le néant ou alors des hommes poulets ou des hommes escargots, ver de terre ou paramécie. La femme redevient l'égale des hommes quand on lui vole le secret de son ventre, le secret de la vie. La femme était la seule maîtresse du destin, les jaloux l'ont condamnée pour cela, quand on lui a rendu son droit à l'avortement, il y avait encore des voix aigrelettes pour hurler que la vie est sacrée. Ignares! Ce n'est pas la vie qui est sacrée, c'est le ventre de la femme, son temple que l'on doit vénérer, la propriétaire de ce ventre en est l'unique prêtresse et nulle société, nulle bande de gueux législateurs n'y pourra rien. La clé de voûte de la vie appartient au sexe féminin, c'est elle qui possède le message de l'amour que même un crucifié n'a pas pu vous faire lire!

Texte C : Une balle dans le ventre, la mort des faibles. N'aurait pas pu tirer dans le cœur ou dans la tête que je ne me sente pas mourir. Une balle dans le ventre, l'agonie peut durer des heures. Le ventre ne veut pas lâcher facilement le morceau. La douleur est atroce. Comme un con, j'ai posé mes deux mains sur la blessure et j'ai pressé comme un imbécile. Le sang poisse mes doigts maintenant et je vais tout de même crever. Une balle dans le ventre. Quel organe a été touché. Si c'est le foie, je mourrais plus vite. Se tourner, se tourner, battre l'air de ses pieds, putain, occuper son corps à autre chose qu'à cette fille de pute de chienne de douleur. Bon sang, je vais crever. Pourquoi? Pourquoi? J'avais une famille, j'aurais pu être un petit représentant tout con, mais non, j'ai voulu l'aventure et me montrer que j'avais des couilles. Ca sert à quoi maintenant, mon ventre se vide comme une outre trop pleine, la douleur cisaille mes reins, mes jambes et ma tête, je vais crever,. Ca sert à quoi d'être un héros de bande dessinée? Ma femme ne pleure pas, non, ne pleure pas, tu m'avais averti, tu savais bien comment cela finirait, je t'en prie ne crache pas sur la tombe de celui qui t'a toujours aimé, ne pleure pas. Antonio, mon fils, pourquoi t'ai - je donné le prénom de l'ordure qui me tuerait? Antonio, fiston, reste bien droit, c'est ça, tiens bien la main de ta mère, pas de larmes fiston, pas de larmes. Putain que j'ai mal! Mon Dieu, je n'ai jamais cru en vous, alors envoyez - moi en enfer mais n'attendez plus, je suis prêt. Ne pleure pas, ne pleure pas…Antonio…Ordure…Fiston…Rappelle - toi, les…

Texte D : Mon amour, mon ventre est rond et tu n'es pas là. Tu as disparu avant que je te donne l'heureuse nouvelle. Je ne le savais pas moi - même. Maintenant, quand je pose mes mains sur lui, il bouge et je sais que tu es là, une partie de toi. J'aurais voulu que cet enfant t'eût pour père. Il n'en sera pas ainsi. Tant pis. Tant mieux, tu l'aurais quitté lui aussi. Je souffre moins de ton absence maintenant. C'est à nouveau l'été et je ne suis plus seule. Le monde est souriant aux femmes au ventre rond. On me laisse la place dans le bus et on a des attentions pour moi dans les queues des super - marchés. Même les plus aigris me sourient. Comment ne pourrais -je pas être sensible au rayonnement de cette innocence? J'aime à nouveau, tu sais. Mais je ne connais pas encore le visage de cet amour. Il est déjà en moi et je ne pourrais pas le reconnaître parce que je ne l'ai pas vu. Il me ramène à la douceur, à la paix et à l'espoir et c'est à lui que je le dois. Je lui parle souvent de toi. Il m'a appris à ne plus souffrir et à ne plus t'en vouloir. J'ai découvert que je pouvais être heureuse de te savoir une autre vie. Pourvu que tu sois heureux comme je le suis mon amour. Pourvu que tu aies autant de bonheur que moi. Tiens, il vient te saluer à son tour. Il t'appelle "papa", je ne lui ai pas encore choisi de nom. Je ne sais même pas s'il sera fille ou garçon, il est notre enfant et je lui donnerai avec joie tout l'amour que j'avais en réserve pour toi. Il est trop tard, ne reviens plus, le bonheur est en moi. Pourvu que tu sois aussi heureux que moi, mon amour…

Texte E : Il y a le soleil, la lune, les arbres et l'océan,
La mouche, le chien, le singe et l'homme,
La pluie, la neige, les fleurs et tous les vents
L'univers, l'immensité de la nature en somme.
Il y a moi, toi, nous et ce petit enfant
Notre amour, nos amours, et lui comme
Une promesse, un défi, un espoir, un chant.
Hier, maintenant, demain tout en un seul moment
Son rire dans les étoiles, sa main petite et ma paume
Au delà des mots, l'Univers et mon cœur un instant.
Envie de pleurer, de rire, de vivre si follement
Un éclair de ce sens à la vie, cette étrange somme,
L'amour, enfin, comme hier et demain et maintenant.



FIn

1 commentaire:

  1. Salut Jean-Louis,
    Ce petit clin d'oeil pour t'indiquer la découverte (enfin !) du texte dont tu nous as parlé cet après-midi... Les voies d'internet sont parfois difficilement pénétrables.
    En tout cas, chapeau bas Môsieur pour tous ces jolis textes. Plein de petites idées de mise en scène ont germé au fil de la lecture de ce texte (l'Egos), particulièrement. Ce travail sur et avec le corps me va droit au coeur !
    Bravo pour ta générosité de mise en ligne "libre de droit" et du rappel de la valeur : "droit à l'éducation pour tous".
    Bien amicalement.
    Jean-Luc.

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