dimanche 16 août 2009

Akhbar, MAuritanie, Nouakcott, 1998

AKHBAR


Présenté au Centre Culturel Saint Exupéry de Nouakchott ( Mauritanie), en 1998, ce texte est la volonté de retranscrire la sensation d'une culture qui met en doute les systèmes représentatifs. Loin de partager la même passion que l'Occident pour les arts de la scène, la Mauritanie, pays artificiel, les frontières sont issues d'un découpage colonial, est un endroit où la parole a son rôle fondateur, bien au - delà des représentations que nous savons en faire.
Il est intéressant, par exemple de noter que le texte n'a pas été présenté sous son titre original, mais sous celui de "plus grand", traduction directe du terme "akhbar". Le directeur du Centre, en effet, craignait une mauvaise interprétation de la part des conseillers islamiques du pays d'un tel titre. D'autant plus amusant que le Hassanien n'attache guère d'importance à un relatif utilisé couramment dans le langage. "Allah akhbar" n'est considéré dans sa valeur religieuse qu'au moment de la prière et seul Allah est grand , ce n'est pas l'adjectif relatif, donc qui l'est…



La scène est dans l'obscurité, si possible aucun bruit. On entend un bruit de pas traînants. Une allumette craque. Une bougie est allumée en avant-scène, côté jardin Le personnage s'éloigne à tel point que, même pour de bons yeux, il est à peine discernable.

C'est trop tard. C'est trop tard. Toujours. Toujours trop tard. Ça commence et c'est déjà la fin. Trop tard. Ça commence. Trop tard. La fin trop tôt. (Silence. Il a une voix agaçante de type nasillarde.) Au commencement était le Verbe. Le Verbe. Le Verbe. Quel Verbe ? Plus de dix mille solutions possibles ! Manger ? Dormir ? Dissimuler ? Exister ? Ah ! Exister. (Silence). Exister, exister, exister. (Silence). Liste nécessaire pour exister : premièrement, appartenir à la perception sensorielle, bon. Deuxièmement : posséder des perceptions sensorielles, toujours bon. (Silence). Deuxièmement… posséder des perceptions sensorielles. Les cailloux ? Les plantes ? La Terre ? Le Ciel ? Les planètes ? L'univers ? Où sont leurs perceptions sensorielles ? (Silence). Perçu sensoriellement par une compagnie d'agates, de schistes, de rhododendrons, de cactus, de cumulo-nimbus et de voie lactée a préféré disparaître… Ne plus exister. (Silence, il éclate de rire). Premièrement, appartenir à la perception sensorielle. Deuxièmement, posséder des perceptions sensorielles. Premièrement, obligatoire. Deuxièmement, facultatif. Si premièrement et deuxièmement réalisés, à classer dans les existences sous le type :"êtres vivants". Mieux. Premièrement plus deuxièmement égale être vivant. Bon. "Etre vivant", relevé objectif de sa composition. (Silence, il marmonne). La composition de l'être vivant, réponse aux deux alinéas susnommés premièrement : appartenir à la perception et deuxièmement : posséder des perceptions ; la composition de l'être vivant uniquement de premièrement, c'est à dire d'éléments assimilables aux cailloux, aux plantes, à l'espace, soit aux agates, aux schistes, aux rhododendrons, aux cactus, aux cumulo-nimbus et aux voies lactées. Le deuxièmement, issu du premièrement. Bon, trêve de bavardages doctissimes barbantissimes. Pour être vivant, il faut : (Il prend une profonde inspiration) De la moëlle, essentiellement composée de carbones et d'autres produits dérivés chimiques dont la liste est trop longue. Donc, de moëlle, d'os, récipiendaires de la moëlle susnommée, de masses plus ou moins gélatineuses rangées du sommet à la base du cerveau et bulbe rachidien, globes oculaires, organes de la phonation, masse spongieuse extensible des poumons où niche une masse solide contractile rangée dans les muscles mais d'importance légitime : un cœur, un tube digestif, un estomac, un foie, un pancréas, une rate, plus de quinze mètres de tube fleuri appelé intestin classé en gros intestin, intestin grêle et colon. Pour encadrer ces masses plus ou moins gélatineuses, une architecture appuyée sur les os courts, longs, plats, épais, carrés, ronds et formée dans sa partie molle de masse plus ou moins fibreuse suivant le travail fourni par les muscles. Dénombrement et identification de chacun bien longue sans maux de bulbe rachidien, à noter cependant la présence de maxillaires, langue, pectoraux, deltoïdes, dentelés, costaux, intercostaux, abdominaux, biceps, triceps, fessiers et muscles des jambes de construction symétriques à ceux des bras mais, pour compliquer, munis d'une autre identité. Pour relier la moëlle épinière aux organes, autre nom des masses plus ou moins spongieuses, aux muscles, construire un réseau de tube en arborescence, les troncs nommés veines ou artères et les plus petits classés dans les capillaires, à l'intérieur desquels en mouvement commandé par le cœur, il y a circulation d'un carburant fluide, le sang, de couleur unique : rouge. L'ensemble recouvert de deux types de peau. Une première, secrète et très fine. Une deuxième plus épaisse, munie de perforations allant du minuscule relatif visible à l'œil nu par lesquels s'écouleront des liquides plus ou moins transparents et non pas inodores nommés, sueur, larmes, sérosités, salive, morve, urine et selles. L'ordonnement de l'ensemble. Les expectorations par les orifices prévus à cet effet. Voire les risques d'incidents ou d'accidents entraînant l'expectoration de liquide, tel que le sang, soit par des orifices apparus artificiellement et résultants de l'incident ou de l'accident. Les qualités de tonicité, motricité et autres capacités. Le tout issu de la combinaison d'une, premièrement, appartenance à la perception sensorielle d'autrui et d'une, deuxièmement, possession de perception sensorielle combinées ensemble. Ainsi, à ranger dans les êtres vivants : paramécie, dépourvue, pourtant, d'éléments sus-cités, le plancton, les crevettes, les calamars et les escargots, les poissons, les amphibiens tritons, grenouilles, crapauds et salamandres, les reptiles orvets, serpents, tortues et crocodiles et les mammifères, dauphins, baleines, herbivores, vaches, taureaux, gazelles, onyx et okapis, mulots, taupes, rats, souris et éléphants, singes variés divers et bruyants, carnivores chiens, chacals, loups, chats, panthères, lions, ocelots et lynx et les omnivores sangliers, phacochères, cochons et hommes. Deux remarques interrogatives pour les deux espèces les plus étonnantes : les insectes et l'ornithorynque. La première issue d'une voie mystère entre les unicellulaires, le plancton, les amphibiens, les reptiles volants préparant la classe oubliée et magnifique des oiseaux. Le deuxième croisement entre reptile, oiseau, amphibien, et mammifère. (Silence) Il y a plus de questions à observer l'ornithorynque que l'homme. Mais ce dernier étant le seul à se poser des questions. Il y a plus d'écriture autour de celui qui pose les questions qu'autour de l'ornithorynque qui lui, pose des questions. Ainsi, voilà la différence d'existence entre l'homme, l'ornithorynque et les autres êtres vivants, la provenance de l'énonciation des questions. La provenance de l'énonciation des questions uniquement due à l'homme. En effet, il y a peu de livres connus écrits par un ou plusieurs ornithorynques. Ceci est sûrement dû à d'autres phénomènes que l'incapacité des ornithorynques à taper à la machine. (Il rit, silence). Arrivée obligatoire dans les méandres spongieux du cerveau d'une question importante : "pourquoi des questions ?". Soit, un autre animal, pris au hasard des existences, doté d'un cerveau. Hésitation entre la souris et la baleine. Soit, par exemple, le nasique, singe asiatique doté d'un appendice particulièrement douteux au centre du visage. Quelles sont les questions d'un nasique ? (Silence). Quelles sont les questions d'un nasique ? (Silence). Aucune idée. Aucune idée car aucune trace nulle part, aucune trace discernable de ces questions. Ne signifie pas que le nasique ne pose pas de questions. Mais signifie qu'un nasique interrogateur ne peut être connu que d'un autre nasique ou de tout autre animal au courant des interrogations de nasique. L'homme, cependant, tenu à l'écart. Déduction de ce dernier, logique soit le nasique animal sans question, soit le nasique animal avec question mais l'homme pas au courant. (Silence). Autre question : les nasiques à l'écart des questions des hommes ? Déduction possible des nasiques : soit l'homme animal sans question, soit l'homme animal avec question mais le nasique pas au courant. (Silence). Raisonnablement valable avec tous les animaux, même l'ornithorynque. (Silence). Contradiction : aucune bibliothèque, construction, véhicule, école, armée, religion, philosophie et autres particularités sociales de nasique, de souris, d'éléphants ou d'ornithorynques connue par l'homme. (Silence). Rappel, pour mettre fin à ces contradictions, l'homme tenu à l'écart. Explication. Si intelligence d'un animal construite pour tenir à l'écart l'homme, pour des raisons peut-être valables, mais seulement connues par le ou les animaux ; donc si intelligence d'un animal édifiée pour tenir l'homme à l'écart, alors l'homme tenu à l'écart. Démonstration lorsque secret en possession de l'homme, l'homme silencieux, personne à part l'homme au courant du secret, tout le monde, homme, animaux, univers tenus à l'écart du secret. Pourquoi, alors, impossible ? (Silence). Résumé : différents êtres vivants, communication difficile voire impossible entre eux. (Silence). Imagination : un être, vivant ou non, assurant la communication entre chacun des êtres vivants. Possible ou impossible ? Possible : quand ? Hier, aujourd'hui, demain ? Si hier, ou aujourd'hui, inconnu de tout le monde. Si demain ? Impossible de trouver raisonnement parfait avec le terme "demain", trop de données inconnues. Demain ? Espoir, espoir en demain, croyance en demain. Impossible ? Alors continuer dans la voie déjà tracée par l'homme pour l'homme : naître, grandir, réussir selon les lois en vigueur du territoire d'origine, trouver compagne, se reproduire, mourir. Fin ou peut-être pas, autre question. Si impossible, homme plus près de l'animal alors qu'initialement tenu à l'écart. (Silence). Retour en arrière, retour en arrière, répétition : si possible qu'être, vivant ou non, assurant la communication entre chacun des êtres vivants depuis hier jusqu'à aujourd'hui. Rappel : alors, inconnu de tout le monde, homme, animaux, univers. Paradoxe : existence de la communication, inconnue de tout le monde, soit communication non communiquée. Première réaction : bêtise, sornette et galimatias. Deuxième réaction : pourquoi pas ? (Silence). Alors où ? Réponse : Ailleurs. Nécessité de réflexion sur cet ailleurs. Cet ailleurs inconnu de tout le monde, donc ailleurs hors de tout le monde. Unique possibilité de réponse : au-delà. (Silence). Au-delà, au-delà ! (Il rit). Facilité : réduire l'au-delà à après la vie d'un être vivant. Correction : l'au-delà existe car résolution du premièrement, appartenance à la perception sensorielle d'autrui. Inutilité du savoir, possibilité issue du raisonnement. Possibilité importante. S'il y a un ici, en ce moment, ici étant tout le monde et en ce moment étant le temps entre hier et maintenant, il y a obligatoirement un au-delà. S'il y a un au-delà, il est habité par un être, vivant ou non, au moins. Rappel : découverte de l'existence potentielle de l'au-delà à partir de l'hypothèse de l'existence d'un être, vivant ou non, assurant la communication paradoxale entre chacun des êtres vivants. (Silence). Maintenant qu'existence de l'au-delà perçue, remise en question de l'hypothèse de l'existence d'un être, vivant ou non, l'habitant. Deux solutions : au-delà vide, alors aucune possibilité pour l'homme d'avoir communication avec l'ornithorynque. Vie séparée de chacun. Evolution progressive dans un but limité aux possibles frontières de l'Univers et vie individuelle de chacun uniquement promise à un point de départ et un point d'arrivée. Possible satisfaction à cela. Mais, pauvre satisfaction par rapport aux possibilités de la deuxième solution. (Silence). Deuxième solution : au-delà, habité. Question : pour quand la rencontre entre l'ici et l'au-delà ? Réponse : quand les limites de l'ici atteintes sensoriellement. Quelles sont les limites de l'ici ? Quand le premièrement : appartenir à la perception d'autrui, doté du premièrement et du deuxièmement, atteint et que le deuxièmement : posséder des perceptions inconnues d'autrui, doté du premièrement et du deuxièmement connu d'un autrui, lui-même doté d'un premièrement et d'un deuxièmement. Remarque : l'idée de l'existence d'un au-delà habité source de réflexion : l'existence d'un être vivant reconnu comme tel dépendante entièrement de l'existence d'un être vivant reconnu comme tel. (Silence). Image amusante : Un jour, la terre habitée uniquement d'un homme et d'un ornithorynque. Question ? A partir de quel moment, il sera possible de dire que l'homme et l'ornithorynque existent ? S'il y a existence, lequel des deux responsable ? Réflexion amusante dans l'image amusante : il y a une possibilité pour la responsabilité de l'ornithorynque dans l'existence d'un homme. (Silence). Conclusion première : choix de l'être vivant à décider de la présence d'un être, vivant ou non, dans l'au-delà. Option égocentrique pauvre : l'au-delà vide, option généreuse: au-delà habité. Croyance, toutefois, en la générosité, même limitée, de tout être vivant ou non. Croyance et non pas savoir. (Silence). Suivre le chemin. Hypothèse à ne plus remettre en question : au-delà, habité. Question : par qui ? ou quoi ? Réponse : difficile. En effet, imagination limitée par elle-même. (Silence). Question subsidiaire : qu'est-ce que l'imagination ? Réponse : la mise en image abstraite d'entités combinées à partir d'images concrètes perceptibles du vécu. Or, l'au-delà est au-delà du vécu donc hors des perceptions concrètes. Donc, l'au-delà est habité par une entité avec une image impossible à concevoir. (Silence). Nécessité subjective : créer une image suffisamment compliquée pour avoir une idée de … sans être capable de l'expliquer totalement, soit considérer que l'absence d'image, idée concrète, est l'image elle-même, idée abstraite. (Silence). Deuxième solution plus logique et plus simple mais obligeant ceux qui l'acceptent à un merveilleux effort de foi. Première solution moins logique et moins simple, mais permettant à beaucoup d'acquérir sans trop de mal la foi. A l'issue de cette solution, nécessité de trouver une image concrète la plus proche de l'idée de l'au-delà. Premier essai, au-delà habité à la manière de nos perceptions par tout notre entourage : donc, au-delà habité par les orages, le tonnerre, le vent, appelés esprits, puis, ailleurs, au-delà habité par tous les animaux importants : chats, faucons, chacals, ibis. Deuxième essai : au-delà habité par des êtres semblables à ceux qui en possèdent la pensée. Cris de chacun : "Moi, moi, moi." L'ornithorynque "Moi !", la paramécie : "Moi !". L'homme : "Moi !". (Silence). Et moi : "Moi !". Donc, pour moi, au-delà habité par une entité abstraite construire sur son image concrète. (Silence). Pour l'homme, l'au-delà habité par des hommes et des femmes, chacun, comme lui, spécialisé en un domaine à sa mesure : la guerre, la chasse, l'amour, la beauté avec des armes à la mesure de ce qui l'entoure : l'or et les armes, la forêt et les animaux, les sentiments et le désir, le miroir et les produits naturels. Puis l'homme évolue, apprend à recouvrir, à lui seul, plusieurs domaines, donc l'homme crée un habitant unique de l'au-delà qui, par amour et générosité, le laisse libre de choisir.(Silence). Ceci pour l'homme choisissant de créer une image suffisamment compliquée pour voir une idée de … (Silence). Pendant ce temps, d'autres hommes, plus logiques et plus simples, pleins de foi dans l'absence d'image comme idée de… (Silence). Observation chez tous les animaux. S'il y a un animal avec une idée, les autres animaux assimilables à sa catégorie doivent accepter cette idée ou la combattre. A la fin, le plus fort et son idée à lui pour tous. (Silence). Aussi, les hommes en guerre pour une idée abstraite, au-delà de nécessité de survie. Du moins, officiellement pour ceux, après, en visite sans fin dans l'au-delà. Comme tous les animaux, l'idée abstraite présentée pour dissimuler des raisons concrètes telles que le pouvoir territorial et toute sorte de pouvoirs. (Il éclate de rire). Têtes tranchées, expectoration de sang, peur, haine, pour rien ! Rien ! Les idées immobiles et préservées : les idées basées sur l'analyse logique pouvant très bien s'accorder dans leur différence et le pouvoir étant une donnée aléatoire balançant d'un côté puis de l'autre jusqu'à un équilibre fragile le plus souvent encore à trouver. (Silence, voix sombre). Quel temps ce serait gagné de ne plus chercher le pouvoir. (Silence). Le pouvoir, donnée concrète, abjecte et futile à réserver aux prétextant d'habitants de l'au-delà pour des raisons concrètes et vieillissantes de l'ici. (Silence). Moi, hors de moi le pouvoir, abandonné le pouvoir. Seule la recherche de la vérité importante, seule la vérité. (Silence). Il y a cent mille, cent millions, cent milliards de soldats et la Vérité. La Vérité, la réponse à toutes les questions, les premièrement, les deuxièmement, les hypothèses, les déductions, les imaginations, les réflexions, la Vérité, d'un seul battement de cil, d'un frémissement et toutes les armées, tous les pouvoirs, toutes les forces réduites à néant. (Silence). Qu'y a-t-il à s'entretuer, à s'entre déchirer, à s'entre torturer alors qu'il y a toutes les perceptions, les tentatives de croire reconnaissables, toutes, à leur extraordinaire grandeur, à leur générosité merveilleuse, à leur Amour ? (Silence). Plutôt que de se haïr, se condamner, plutôt que de perdre les résultats logiques de chacune des croyances dans des actes assassins, pourquoi n'y a-t-il pas eu union pour trouver la Vérité ? La marche vers celle-ci : une quête, une collecte d'amour, de rires d'enfants, de bruissements d'ailes, de battements de cœur ? Pourquoi fuir cette quête ? (Silence). Pourquoi croire à sa solitude sur le chemin de la Vérité ? (Silence). Tous marchent sur sa voie merveilleuse et aveugle et haïssant la voie de l'autre alors que la Vérité oblige à accepter les différences ? (Silence). Il y a eu ma parole, neutre, existentielle. Il y a eu mes mots. Il y a eu mon amour dans chacun de mes actes. Il y a ma moelle, mes os, mes organes, mes muscles, ma peau. Il y a eu toutes ces merveilles du monde avec le battement de cœur de chacun devant sa beauté. Il y a eu toutes ces questions naïves, entêtantes et dont l'issue ne peut être qu'une foi. Alors, il y a mon existence ? Alors, il y a l'espoir de mon existence ? Alors, il y a mon droit à opposer à tous ma rage de les aimer, tels qu'eux-mêmes sans les changer ? Alors, il y a ma certitude d'un au-delà habité par un être sans nom épuisé et souffrant de toutes ces erreurs, de tous ces morts, de toutes ces haines, de toutes ces fois transformées en imbéciles certitudes ? Il n'est possible que de croire. Croire n'est pas savoir. Seule la Vérité appartient au savoir. Mais qui sait la Vérité ? (Silence, il se met à sangloter). Quel est le prix de mon existence ? La Vérité. Refus d'exister autrement. Ou alors, mon existence avec tous, toutes leurs merveilleuses fois, toutes leurs respectables amours vers la Vérité. Pourquoi ? Simple. La Vérité uniquement dans sa quête, sans arrivée. Une image la Vérité, juste une image pour mieux comprendre. Voici. (Tous les projecteurs, d'une puissance de feu telle qu'il est impossible de garder les yeux ouverts face à celle-ci se met en route vers le public. Cela ne dure que les temps des paroles suivantes.) Maintenant, là, il y aurait des artifices pour pouvoir regarder en face, mais il y aurait toujours mon invisibilité. Il y aurait des projecteurs de théâtre, de simples projecteurs. La Vérité, ou plus précisément son image : toute simple. La Vérité, simple aussi, trop violente pour nous ! (Il a crié de rage. Les projecteurs s'éteignent. Murmures du public). Voilà mon existence condamnée. En refusant le prix de ne pas aimer, mon existence condamnée à cette substance d'existence, à cet artifice théâtral. Pas d'existence. Condamné. (Silence). Il aurait été si bon d'exister vraiment, de toucher vos coeurs, faire vibrer cet amour en chacun de vous-mêmes. (Silence). Mais tout ici seulement souffrance, la souffrance d'être attentif sans rien pour aider, sans action, sans jeu de scène, sans facilité, la souffrance de cette voix nasillarde, juste une voix. Bientôt votre retour au monde de la vie, pas du théâtre. Mon existence éteinte avec l'éclairage, autorisation à voir. Impossible d'exister, de jouer les acteurs heureux, impossible de vous saluer, d'entendre vos applaudissements, vos sifflets, votre joie ou vos colères. La bouche émettrice de mes paroles, simplement bouche du corps d'un autre comme vous, plein d'erreurs, de mensonges, de troubles, de petites joies, de petites peines. (Silence). Disparaître pour ne pas voir les souffrances, les erreurs, disparaître à la recherche de l'au-delà, de ce qui y habite, de la Vérité, disparaître au nom de l'amour, jumelle de la Vérité, dont chacun croit détenir le sens alors qu'il y a seulement une parcelle minuscule, disparaître au nom de la Vie, berceau fantasque de la Vérité et de l'Amour dont le voile dissimulateur..(Silence). Croire en tout et en tous et ne plus exister. (Silence). Il y avait sur la route, le cadavre d'un chat égorgé. Par la plaie où le sang séché tournait au marron, des milliards de petites cellules habitant des larves de mouches, se nourrissaient. Odeur forte et insupportable. Le cadavre, soulevé par ses habitants affamés, avait l'air de respirer encore. (Silence). Personne, personne ne peut accepter de ressembler à cela. Le corps seulement un véhicule du premièrement, le deuxièmement ne s'arrêtera jamais. (Silence. Derrière le public, on entend un chant traditionnel du pays où la pièce est jouée. La lumière se fait dans la salle. Personne ne vient saluer. La bougie continue de brûler.)


FIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire