lundi 17 août 2009

Saint POns de Mauchiens, 2002

LES AVENTURES D'HENRI S.


Les amants italiens.

Je m'étais promis de ne plus approcher Henri S.. Son caractère et ses excès m'avaient trop de fois entraîné dans des aventures que je n'avais pas désirées. Cependant, je n'avais pas eu le courage de lui signifier ma décision.
Il n'y a rien de meilleur que de rester chez soi à se mouler dans le canapé devant des programmes télévisés insipides et vides. Mon allocation chômage me laissait encore beaucoup de temps devant moi. Je n'avais aucune urgence à rechercher du travail. Cela me laissait le temps de profiter de la farniente agréable d'avoir des journées sans urgence. De temps à autre, je me laissais emporter par Conan Doyle ou Shakespeare. Mes goûts, en littérature, ont toujours bénéficié de l'hétéroclite et il est très agréable de zapper d'une écriture à une autre, juste pour le plaisir d'histoires que le cinéma ne sait pas encore vraiment intégrer à la personnalité de ses spectateurs.
Il y avait aussi le rite matinal du courrier. Un ensemble d'écritures mélangeant les sommes modiques que je devais, les nouvelles d'amis perdus de vue et les éventuelles convocations à un travail qui me sauverait de la déchéance du chômage. Attentif à ne pas décevoir une vision du monde à laquelle je ne participais pas, je me rendais à ces rencontres avec des directeurs du personnel, persuadés qu'ils trouveraient en face d'eux un homme aux abois et toujours étonnés de rencontrer un individu peu pressé de rentrer dans la masse aveugle et abêtie des travailleurs. Sans jamais refuser le moindre poste, je réussissais ce tour de force de ne jamais être engagé. Ouvrir une lettre devenait alors un moment de doux suspense que je prenais plaisir à laisser durer. Où devrais - je me rendre, qui m'inviterait à écouter le discours elliptique d'une entreprise prête à me sauver au prix de sacrifices nécessaires?
C'est par un de ces matins que je ne découvris dans ma boîte qu'une missive, mal fermée et timbrée d'une somme bien au - dessus du nécessaire. Il ne me fallut que peu de temps pour reconnaître l'écriture de Henri S. sur le libellé de mon adresse. Tout en rentrant chez moi, je l'ouvris. A l'intérieur, une invitation officielle pour deux personnes à la première de Roméo et Juliette, au théâtre du boulanger. Henri S. avait écrit, à la suite du texte officiel typographié : " Je vous attends de toute urgence, pour une affaire qui saura vous intéresser. "
Je me dois d'avouer que je ressentis un grand plaisir à retrouver une telle invitation . Du temps était passé depuis ma ferme décision de prendre de la distance avec le détective amateur. L'idée de le retrouver en train de jouer, avec son style si personnel et si électrique me remplissait de bonheur. Aussitôt la porte de mon appartement close, je pris le téléphone pour confirmer ma venue le surlendemain. Ma journée fut pleine de cette excitation que je connaissais bien lorsque Henri S. m'emmenait dans ses enquêtes si particulières.
Par contre, je me montrais impatient et nerveux les deux journées qui suivirent. J'avais du mal à attendre et, plusieurs fois je dus me discipliner durement pour ne pas chercher à joindre mon ami sur son téléphone personnel et portable. Je le connaissais suffisamment pour me répondre que je prenais trop de libertés alors que notre rendez - vous n'était pas à cette heure.
Enfin, vint le moment du spectacle. J'aime le théâtre. De tous les arts qu'il m'a été possible de rencontrer, en y incluant les nouveaux de notre siècle, il est le seul qui m'offre la plus grande liberté tout en me dirigeant. Hélas, j'ai trop souvent à souffrir de metteurs en scène obsédés par leur ego et plus à la recherche d'une reconnaissance que de servir un texte. Il y a là un des sujets de prédilection avec mon ami, participant à un système que lui - même reconnaît comme perverti. Le théâtre m'amène toujours à regarder le monde qui m'entoure comme une farce tragique. Il est dommage qu'enfermé dans une logique de marché, il se condamne à être réservé à une élite trop convaincue d'elle - même pour entendre son réel message. Henri S. condamnait souvent comme moi cette dérive mais, dans le même temps, me rappelait Turini, Handke, Shakespeare, Koltès et tous ces rêveurs qui voulaient aider le monde à se changer.
J'en étais là de mes réflexions quand la lumière baissa. Sur la scène, à peine éclairé, apparut un pan de forteresse. Samson et Grégoire entamèrent le chœur " Two families…". Ce fut un de ces moments d'immense réconciliation. La place me manque pour tout raconter. Henri S. était un Tybalt qui, en très peu de répliques, racontait toute la triste histoire d'un homme que le destin condamnera. Pas un seul des personnages ne semblait être autre chose que celui qu'il présentait dans ce lieu et j'avoue avoir pleuré quand Roméo dut partir à Mentoue et quitter Juliette. La fin du spectacle eut droit au silence de Mozart. Le public était là, encore dans son histoire partagée, silencieux, manquant à son devoir d'applaudissements, entre larmes et rires. En face, se tenaient les acteurs, derniers chevaliers d'un sens qui nous échappe.
Encore dans le trouble, j'allais retrouver Henri S. dans sa loge. L'épée était posée à côté de quelques flacons et d'un livret déchiré. Il se tenait, débraillé dans son costume Véronais, fumant une de ces cigarettes âcres et laissait tomber la cendre à même un sol jonché de mégots froids.
" Ah, mon cher ami, je me doutais que vous aviez décidé de rompre notre relation. Je savais aussi que ce n'était qu'un caprice. C'est pourquoi je n'ai pas hésité à vous écrire même si l'affaire que je vous propose de relater est sans grande conséquence.
- J'ai passé l'âge des caprices, bougonnais - je, un peu vexé.
- Allons, il est normal que vous ayez un caractère et je ne m'en moque pas, même s'il m'amuse.
- Quelle est cette affaire ? "
A vrai dire, je ne pus m'empêcher d'être assez brusque. Chaque fois que je le retrouvais, il réussissait à m'agacer en peu de mots. Il me regarda, sourit comme un chat, tira une bouffée. On frappa à la porte. Henri S. se leva et alla ouvrir. Dans l'ouverture se tenait une très jeune femme. Elle ne devait pas avoir vingt ans. Elle était habillée simplement mais non sans goût. Ses cheveux d'un blond cendré auréolait librement un visage éclairé par des yeux d'un bleu lumineux. Ses mains, très fines, se tenaient serrées devant elle.
" Cher ami, je vous présente mademoiselle Julie Bonnot. Mademoiselle, celui - ci est un ami, nous l'appellerons Watson, juste pour l'ambiance. Il est mon scribe et il lui arrive de m'aider à résoudre les enquêtes qu'on me propose." Tout en débitant sa tirade sur ce ton enjoué qui me crispait les nerfs, Henri S. tendit une chaise à l'arrivante. A la façon qu'elle eut de s'asseoir je compris qu'elle était issue d'un milieu où les bonnes manières ont encore leur importance.
" Eh bien, maintenant que tout notre petit monde est réuni, voulez -vous nous raconter dans les détails votre histoire mademoiselle ? " demanda Henri S. encore debout.
" Monsieur, je ferai de mon mieux. J'appartiens à la famille Bonnot qui est une des plus riches de la ville. En ce moment, mon père est d'une humeur massacrante. Son entreprise risque de perdre un marché fort intéressant mais il doit lutter contre la concurrence et l'offre d'une compagnie internationale dont le bureau principal en France est dans la même ville. Le Directeur de ce bureau s'appelle M. Monnier. Toutes ces histoires n'auraient pas beaucoup d'importance si, en secret, je ne m'étais pas mariée avec son fils. Nous avions décidé d'attendre que l'affaire soit terminée pour déclarer officiellement notre union. Ainsi nous ne risquions pas de mettre nos pères dans une position difficile.
" Depuis quand êtes - vous mariés? " interrompit Henri S.
" Nous avons échangé nos alliances hier, Monsieur.
- Bien, continuez." Henri S. avait changé d'attitude. Il avait les mains derrière le dos et le buste légèrement penché en avant. Son visage tendu vers elle, les yeux légèrement plissés.
De plus en plus troublée, elle raconta qu'au matin qui suivit la nuit de noces, son jeune époux lui fit des adieux passionnés. Ils devaient se retrouver à l'église qui avait été le lieu de leur mariage mais quand elle s'y rendit, elle ne trouva personne. Affolée, elle se rendit dans tous les lieux qu'elle fréquentait avec lui, elle ne l'avait pas trouvé. Elle avait téléphoné à tous ses amis, personne ne l'avait vu. Elle avait même osé se faire passer pour quelqu'un d'autre auprès des parents de son mari, mais ils lui avaient affirmé qu'ils ne l'avaient pas revu depuis l'avant-veille. Henri S. lui demanda s'ils avaient semblé inquiets. Elle n'hésita pas : " Non, quand je leur demandais s'il avait l'habitude de disparaître ainsi aussi longtemps, ils me répondirent que, depuis sa majorité, leur fils était totalement libre et de telles absences étaient habituelles. Je m'affole peut - être pour rien. Ce soir, cela ne fera pas vingt quatre heures. Mais je suis sûre qu'il est arrivé quelque chose. Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais pas vous le dire. Reconnaissez toutefois qu'il n'est pas normal qu'un époux disparaisse le premier jour de son union ! "
Ses joues étaient couvertes d'une jolie couleur rouge. Son bref exposé semblait avoir mis ses nerfs à rude épreuve. Pourtant, elle restait digne. Rien, ni dans le port de sa tête, ni dans le maintien de son corps, ne semblait subir le désarroi que ses yeux, remplis de larmes, trahissaient.
Henri S. alla vers elle. Il lui prit les mains et tout en les serrant, prononça dans une voix presque chuchotée : " Je suis tout prêt à vous aider, madame. Mais comprenez bien que je ne pourrai le faire que si vous ne me cachez pas toute la vérité ; "
Je sursautai, surpris par l'impolitesse de mon compagnon.
La jeune femme pâlit aussitôt et, levant des yeux implorant vers Henri S., elle dit d'une voix étranglée :
" - Comment pouvez - vous…
- Non, mademoiselle, l'interrompit - il avec cette voix tendue que je lui connaissais quand il trouvait une piste de raisonnement, je ne suis pas de ces émotifs romantiques qui croient que la vérité sort de la bouche d'une femme en pleurs. Je suis peut-être sans cœur, mais votre histoire ressemble trop à une romance fleur bleue pour accepter de perdre mon temps. Soit vous me dites ce que vous n'avez pas voulu me révéler, soit vous retournez chez vous attendre votre époux s'il décide de revenir. "
Elle se leva d'un bond. Ses yeux, tout à l'heure si pleins de douceur semblaient enflammés. Tout son corps tremblait d'une colère mal contenue. Elle se dirigea vers la porte, prit la poignée…
" Réfléchissez - bien, si vous partez, vous ne reverrez peut-être plus jamais votre mari." La phrase était modulée dans une musique très droite. Elle frappa la toute jeune Monnier comme un éclair. Elle s'immobilisa et tout doucement se retourna.
J'ai toujours reproché à mon ami de trop utiliser ses talents d'acteur dans la vie de tous les jours. Manifeste - t - il une joie bruyante ? Il est sûrement dans une colère noire ou une peine profonde ou, peut - être, vraiment heureux. Il est indéchiffrable, non pas que son visage ne donne rien à lire, bien au contraire mais à lire trop évidemment ce qui trompe tous ceux qui l'observent. Il n'en était pas de même pour la jeune Monnier. Une lutte atroce se lisait sur sa figure comme dans un livre ouvert et le combat se voyait si violent que mon compagnon, lui - même, n'aurait pu avoir de tels accents de vérité. Le temps sembla suspendu. Enfin, les traits se relâchèrent et, comme soulagée d'avoir perdu sa bataille, la jeune femme revint s'asseoir.
" Oui, monsieur, je vous ai menti. Ce n'est pas hier que nous nous sommes mariés mais il y a maintenant presque six jours. Je ne comprends pas comment vous connaissiez la vérité, mais nous avions décidé avec ma meilleure amie, Marie Harti, de déplacer la date suite à ce qui s'est réellement passé."
Inconsciemment, je levais les yeux vers mon ami. Le sang avait quitté ses pommettes, signe d'une attention suraigüe. Ses yeux, habituellement bleus, semblaient presque blancs. Il restait totalement immobile, avec cet incroyable air de fauve guettant sa proie.
" C'est effectivement le lendemain de mon mariage que mon époux , Jacques, a disparu. Mais il y eu un événement troublant, le même jour, un associé de mon père et un de mon beau -père sont morts dans des conditions étranges. On les a retrouvés tous les deux à peu de distance…
- Soyez plus précise, l'interrompit brutalement Henri , quelle distance exactement?
- L' associé de mon père dans une cour abandonnée derrière la chambre de commerce, l'autre est tombé raide mort devant la chambre elle - même. Tous les deux étaient morts d'un coup d'épée, l'associé de mon père est mort d'un coup en plein cœur, après l'autre, environ dix minutes après.
- La dernière fois que vous avez vu M. Monnier, votre époux, c'était avant ou après cette double mort?
- Après, il est venu me voir dans la nuit.
- Vous a - t -il parlé de ces deux morts?
- Non, il ne m'en a rien dit, mais… Mais il semblait différent du Jacques que j'avais connu jusque là… Il semblait taciturne, et très violemment tendre. Je ne m'en suis pas rendue vraiment compte sur l'instant mais c'est après avoir cherché à trouver des raisons à sa disparition que je me suis souvenue de son attitude ce soir - là. Depuis je ne l'ai plus revu. Nous devions nous retrouver à l'église de notre union, mais comme je vous le disais tout à l'heure, il n'est pas venu. C'est sur les conseils de Marie que j'ai cherché à vous rencontrer."
Elle s'arrêta soudainement de parler et regarda fixement Henri S. Lui ne semblait pas se rendre compte que l'histoire de la jeune femme était terminée. Il n'avait toujours pas bougé quand il demanda:
" N'avez - vous rien d'autre à me dire?
- Non, monsieur"
Le détective amateur ne bougea toujours pas puis, sans qu'on
n'ait pu rien voir de la métamorphose, il se détendit, et sembla être le parfait gentleman qu'il m'avait semblé à notre première rencontre. Il s'avança vers la toute nouvelle mariée, lui prit les mains et, dans un ton enjôleur :
" Mme Monnier, ce sera un immense plaisir que de m'occuper de votre affaire. Ne me demandez pas combien je vous demanderai pour ce service, je le saurai quand tout sera résolu. Nous nous reverrons dans deux jours, nous faisons relâche et tout le théâtre sera à nous. En attendant, je vous prie de bien vouloir m'excuser mais il est temps pour moi d'aller dîner." Tout en parlant, il avait très cérémonieusement extrait Mme Monnier du fauteuil et discrètement amené devant la porte. " Ne dites rien, partez, et surtout soyez jeudi au théâtre vers vingt- et- une heures." Il ouvrit la porte et toujours aussi exquis fit sortir la belle femme tout en l'empêchant, le plus grossièrement du monde, de prononcer un seul mot.
Au moment où il refermait la porte, je ne pus me retenir plus longtemps : "Enfin, Henri, vous ne pouviez pas traiter autrement cette pauvre jeune femme ? Son mensonge est bien compréhensible et vous êtes assez doué pour connaître la vérité sans torturer les gens pour qu'ils vous la disent. Et puis, comment saviez - vous qu'elle mentait?"
Henri me tournait toujours le dos. Il avait fermé la porte et tourné la clef dans la serrure. D'un simple mouvement de tête, il me dévisagea et éclata de rire.
" Mon pauvre ami, vous auriez pu le deviner tout seul ! Mais comme toujours vous allez chercher des solutions bien complexes à un phénomène évident ! Allons, n'avez - vous pas réfléchi à la date ?
- La date ?
- Lorsque je vous ai envoyé mon petit mot, rappelez - vous, c'était en partie pour que vous assistiez à la représentation, mais aussi parce que je voulais vous voir. Or, pourquoi aurais - je voulu vous retrouver vous et toutes vos singeries de petit bourgeois nanti ? Le plaisir de votre conversation ? Je connaissais déjà une partie de l'affaire, voilà tout.
- Quand accepterez - vous de comprendre qu'il m'est insupportable que vous vous moquiez de moi de la sorte ? Je n'ai rien de ce petit bourgeois, je suis chômeur, moi, monsieur !
- Et tant mieux, sinon vous ne pourriez me suivre dans mes aventures. Mais laissons - là nos chamailleries, que vous semble de l'affaire ?
- L'affaire ? C'est une nouvelle version de Roméo et Juliette, mais deux morts d'un coup d'épée au XX° siècle, c'est un peu trop.
- Comme vous dites, comme vous dites, et, pourtant, ce n'est pas là le plus surprenant.
- Ah ?
- Le plus surprenant c'est que personne n'ait retrouvé l'arme. Une épée, aujourd'hui, ça ne passe pas inaperçu. Mais rien, dans les rapports de police que le bon vouloir de l'inspecteur Dome m'a laissé voir, rien ne parle de quelqu'un qui se promène avec une épée.
- Elle doit être quelque part, êtes - vous certain qu'il s'agit d'une épée au moins ?
- Une rapière, exactement. Les médecins légistes sont formels tant la forme des plaies que leur profondeur attestent de leur opinion.
- Pourtant, vous avez une idée ?
- Oui, asseyez - vous, mon ami et écoutez une petite histoire que je dois au temps que j'ai employé depuis que je me suis penché sur cette énigme."
Nous nous assîmes face à face, dans le dos d'Henri S. Je voyais
mon reflet éclairé par les ampoules du miroir. Henri s'enfonça dans son fauteuil, appuya ses coudes et croisa les mains, il était tourné vers moi, mais son regard semblait lointain..
" On oublie trop vite que l'homme a besoin de se rassurer sur sa puissance. Les armes d'aujourd'hui, beaucoup plus précises et plus rapides, ont ce grave défaut de ne pas mettre en jeu l'homme lui - même. Si vous allez voir un film de John Woo, le ballet de gunfire qui plaît tant à la critique, n'est qu'une mise en scène de ce désir de retrouver la force par son propre corps. C'est un besoin que notre culture et notre civilisation a bien du mal à résoudre. Ainsi, sous le régime nazi, les jeunesses hitlériennes avait un jeu étrange. Il se battait à l'épée et était considéré comme vainqueur celui qui avait le plus de blessures. Il y avait souvent des accidents, mais le mort était entre le héros et le perdant, le meurtrier n'était pas poursuivi, m ais il vivait avec la honte de ne pas avoir reçu la blessure suprême… Cela peut paraître paradoxal à des gens comme vous qui appelle bon sens leur lâcheté inavouable, mais il ne faut pas méjuger du sens réel de ces duels. Il n'excuse en rien le régime qui les avait fait renaître, mais ils sont une leçon amère pour notre humanité : l'homme ne peut pas se passer de violence. Ne prenez pas cet air idiot, il vous va trop bien et il éveille chez moi une certaine jalousie. Vous allez me dire que vous n'êtes pas violent. Alors, que faites - vous ici ? N'est - ce pas parce que je passe mon temps à résoudre des énigmes où la violence vous repaît sans que vous n'ayez le besoin d'y participer autrement qu'en spectateur. Vous n'êtes pas violent, dans vos actes, je le concède, mais vous avez besoin de la violence. Moi - même, j'avoue que c'est une drogue, et jouer Tybalt est un moyen, pour moi, de pallier au manque que je ressens tant que je ne combats pas le crime.
Nos deux victimes ont bien reçu un coup d'épée mortel mais elles avaient visiblement lutté ensemble. L'une des deux, celle qui était dans la cour arrière, elle, s'est battue contre quelqu'un d'autre.
Ah, Shakespeare, quelle histoire! Je serais tenté de trouver pour solution que lors de leur combat, un a été tué et que Jacques Monnier l'a vengé et qu'il s'est enfui pour ne pas subir le jugement de son acte. Mais il manque quelqu'un dans cette affaire et c'est cela que je dois chercher.
La solution est dans la cour, j'en suis certain. Le sang qui part de la cour arrive au mort du devant. Il y a eu bataille dans cette cour, mais elle n'a qu'une porte y ouvrant qui donne à l'intérieur de la chambre de commerce. Bien que vieille, sa serrure a été changée il y a peu. Il n'y a aucune trace et pourtant le gardien assure que cette porte est toujours fermée et que lui seul a la clé.
Avez - vous quelque film important à regarder dans votre canapé, ce soir, ou êtes - vous prêt à m'accompagner cette nuit ?"
Voilà pourquoi j'aimais être avec Henri S., en un instant il vous emmenait dans une expédition et vous vous retrouviez aventurier.
"Ce soir, les programmes conjuguent les débats et je n'ai pas de vidéo à regarder, donc je viens avec vous!
-Parfait, partons dès maintenant."
Ce fut un départ précipité, tout au moins. A peine avait - il terminé sa phrase qu'il était debout, s'habillait pour sortir, éteignait les lumières de sa loge et m'attendait à la porte, au point que je n'avais pas eu le temps de m'extraire de mon siège. Le théâtre était presque désert, il y avait encore quelques hommes d'entretien. Nous partîmes par une porte des artistes et nous retrouvâmes dans la rue encore un peu vivante, bien que la nuit soit avancée. Il n'y avait pas loin du théâtre à la chambre et Henri ouvrit la marche de son pas trop rapide. Je le suivais difficilement et j'étais parfois obligé de trottiner pour me mettre à son niveau. Plus nous avancions plus les rues se désertaient et quand nous arrivâmes dans la cour, l'obscurité était totale, lourde et silencieuse. Henri sortit une lampe de sa poche et, oubliant complètement ma présence parcourut le sol, le dos penché et quadrillant méthodiquement chaque endroit. Il arriva à la porte. Sortant un mouchoir de sa poche, il le posa sur la poignée de celle - ci et la tourna. La porte était fermée. "Ah!" laissa - t -il échapper. Il me donna la lampe et, d'un signe, m'ordonna d'éclairer la serrure. Il commença à travailler sur elle avec des outils de serrurier sortis, comme par magie, de son manteau. Au bout d'un court instant, il rangea les outils, me reprit la lampe des mains et refit la manœuvre d'ouverture sur la poignée. Sans un seul grincement la porte s'ouvrit et nous nous trouvâmes devant un palier entre deux escaliers. Sans un regard en arrière, Henri reprit son observation et se dirigea vers les marches qui descendaient. Nous descendîmes ainsi jusqu'au bout et nous retrouvâmes dans une immense pièce, sentant la poussière et les vieux documents. L'obscurité était telle que la lumière éclairait à peine la silhouette de mon ami toujours penché. Je le suivis de très près, trébuchant parfois sur des dossiers que l'épaisseur de la nuit me cachait. Nous avancions lentement et je respirais avec peine, persuadé que je finirais par avoir une crise de toux si nous continuions dans cette atmosphère poussiéreuse. Soudain, mon ami tourna sur sa droite et avança vers une immense étagère. Il éclaira chacune des gondoles et dans une prit un épais dossier. Il se pencha un peu plus et observa le trou que laissait sa prise. J'étais juste à côté de lui. Je le vis sourire. Il reposa le dossier et m'aveugla de la lumière.
"Etes - vous prêt à souffrir ? chuchota - t - il ?" Sa question me troubla. N'attendant pas la réponse, il me fit signe de prendre le bord de l'étagère et, portant la lampe à sa bouche, il empoigna avec moi l'endroit désigné. Je compris qu'il voulait que je pousse avec lui. L'entreprise semblait insensée. L'étagère devait bien peser une tonne et il y avait peu de chance que nous réussissions à seulement la faire trembler. A contre - cœur, je poussais, sentant la sueur couler dans ma nuque et, déjà, manquant d'air. A ma grande surprise, l'étagère eut un petit mouvement. Cela me donna l'envie de pousser plus fort et, arc - boutant mon dos contre je ne sais quoi, je mis toute mon énergie dans l'effort. Bien que l'étagère soit immense et sûrement d'un poids considérable, elle se mit à glisser, laissant peu à peu un passage assez grand pour un homme. Henri lâcha aussitôt l'étagère, me poussa sans délicatesse et se glissa dans l'espace. Ahanant, crachotant et furieux, je le suivis. Il ne semblait même pas épuisé par l'effort et observait le sol et le mur. Très vite, il se mit à quatre pattes par terre, la tête tournée vers moi et tira sur un anneau au sol. Un panneau se souleva, libérant une lumière qui m'éblouit. Henri pencha la tête à l'intérieur :
"Bonsoir, monsieur Monnier, articula - t - il avec sévérité."
Je n'en croyais pas mes oreilles. J'essayais de regarder au- delà de la planche, mais elle me gênait et ne pouvais qu'apercevoir le dos du détective. Finalement, je fus obligé d'attendre qu'Henri S. descendit, de remettre l'obstacle à sa place initiale, d'avancer et de tenter de retrouver l'anneau. Mais il n'y avait plus un seul rai de lumière et je cherchais à tâtons dans une nuit irritante. Je jurai et tempêtait, presque pleurant de rage, me cassant les doigts sur tous les défauts du sol que je prenais pour le but de ma recherche. Enfin, je saisis l'anneau et tirant avec une force décuplée par la colère, je soulevais la planche et me retrouvait aveuglé par la lumière. Je n'avais pas encore retrouvé mon esprit que la voix d'Henri S. m'ordonna : " Faites du bruit, alertez tout le bâtiment, il faut un médecin !". J'essayais de regarder, mais je ne vis que le regard de mon ami qui me tendait sa lampe et, derrière lui, deux jambes, le reste caché par le cadre de l'entrée. Je me levais d'un bond. Je n'y comprenais rien. Je baissais la planche et appela à l'aide. M'aidant de la lumière je trouvais le chemin et, grimpa les escaliers espérant trouver un gardien ou, au moins, déclencher une alarme. Arrivé au palier principal, je vis de la lumière et courut vers elle.
Je ne sais pas si, depuis, le vigile que je surpris dans sa somnolence s'est remis de ses frayeurs. J'entrais dans sa petite pièce et l'apparition échevelée, sale en sueur qui lui hurlait d'appeler un médecin n'eut pas sur le moment de réponse. Je dus le secouer pour qu'il commence à bouger. Il m'obligea violemment à m'asseoir, appuya sur un bouton près de lui et me demanda ce que je faisais là.
J'eus toutes les peines du monde à pouvoir expliquer clairement toute l'aventure mais quand j'eus réussi, je le priais avec toute la conviction possible d'appeler un docteur et lui promettais qu'après nous descendrions retrouver mon ami, là où je l'avais laissé.
Il finit par obtempérer, puis, le suivant, nous retournâmes au caveau.. Avant de partir, il avait enclenché toutes les lumières et ouvert une porte réservée à la police, me dit - il, si elle arrivait avant son retour. Le parcours, bien que rapide, me laissa le temps de m'apercevoir que les endroits que nous avions traversés dans l'obscurité, même s'ils gardaient leur atmosphère poussiéreuse, étaient d'une banalité affligeante. Quand nous arrivâmes derrière l'étagère, bien plus petite que ce que j'avais cru, Henri S. était assis au bord de l'entrée du caveau. Il leva les yeux vers nous et sourit :" Eh bien, mon ami, vous avez été bien long ! Tant mieux.". Il se leva et serra la main du gardien qui semblait le connaître. " Excusez l'affolement dans lequel il s'est présenté, mais il est d'un tempérament facilement impressionnable. J'ai découvert une salle qui intéressera sûrement la police. Naturellement, tout ceci doit être traité avec la plus grande discrétion. Il y aurait bien du mal si on apprenait que la chambre des métiers recèle une salle d'armes de combat. Allons, venez, nous n'avons plus rien à faire ici.
- Mais le cadavre, dis - je, estomaqué par la nonchalance de mon ami.
- Quand je dis que vous êtes impressionnable, c'est que vous l'êtes."
Il me prit par le bras et, tout en m'empêchant de regarder à l'intérieur du caveau, il m'obligea à avancer. Contraint par la force discrète mais puissante de sa poigne, je finis par le suivre. Il me tint ainsi jusqu'au palier principal où nous attendait l'inspecteur Dome. Il me lâcha et, joyeux, se dirigea vers le policier.
Comment puis - je expliquer au lecteur cet attrait qu'a Henri S. pour moi ? Comment ne pas passer pour un pauvre bougre complètement asservi à un peu d'intelligence ? Je venais d'être traité comme une quantité négligeable, Henri S. me cachait une vérité, mais il ne me disait rien et il savait que je me tairais. Cette confiance qu'il m'accorde est un gage de respect. Certains diront que je m'aveugle et que je cherche là un moyen de ne pas reconnaître que je suis un faible. Et quand bien même ? Je venais de passer une nuit sur une énigme, je savais qu'elle était résolue. Je le savais parce que je voyais le visage de mon ami. Je le savais parce que je voyais qu'il allait inventer un mensonge. Je le savais parce que j'avais vu deux jambes et que rien dans ce qui suivait n'y faisait allusion. Je le savais parce que j'avais en face de moi un héros comme personne de vivant ne rencontre dans sa vie. Je le savais, cet héros était mon ami.
"Ah, inspecteur, je suis parfois étonné que la police Française si douée et si rationnelle ait pu laisser passer un indice comme celui que je viens de trouver dans les sous - sols de cette maison. Auriez- vous eu un moment d'inattention, M. Dome? Si vous descendez là où vous mènera le gardien, vous trouverez la plus fascinante et la plus incroyable collection d'armes blanches qu'il m'ait été donné de voir dans cette ville. Il ne s'agit pas d'armes en fer blanc, mais de vraies et longues épées, de tranchants et dangereux kriss et d'encore sanglantes rapières…
- Vous les avez trouvées ? L'inspecteur écoutait Henri S, dans un mélange de fascination et d'agacement.
- Il n'y en a qu'une, mais je n'ai pas besoin d'avoir de laboratoire d'analyse pour savoir que vous y trouverez les empreintes des deux victimes et leur sang, hélas.
- Mais comment, comment, si vite? Je ne vous ai informé de l'affaire que depuis quatre jours seulement, nous piétinions et vous, bien que vous ne consacrez pas tout votre temps à cela, vous avancez à pas de géant!
- Je n'avance plus mon cher, il n'y a pas, à mon avis à aller plus loin. Mais que faites - vous ce jeudi ?
- Après - demain ?
- Oui, je serais heureux de vous inviter au théâtre…
- Heu, vous savez moi, les drames j'en ai assez au travail et depuis que Jean Poulain est mort…
- Non, il ne s'agit pas d'une des représentations, mais d'une invitation pour écouter toute l'histoire, une histoire que je pourrais intituler, si je voulais paraphraser Shakespeare, les Amants italiens, un véritable sujet de théâtre, mais des auteurs plus doués que la vie sont déjà passés par là. Non, je vous raconterai comment, au XX° siècle, on peut mourir d'un coup d'épée et avoir honte de son mariage. Je ne sais pas quelle sera la fin du drame, je n'en rapporterai que le commencement.
- Vous avez élucidé toute l'affaire ? Déjà ? Vous plaisantez !
- Non, inspecteur, je ne plaisante pas, il y va de la vie d'une jeune femme de son innocence et de la dure réalité de la vie, alors, je compte sur vous !"
D'un mouvement sec Henri S. abandonna son interlocuteur et se dirigea à longues enjambées coléreuses vers la sortie. J'eus grand peine à le rattraper. Quand je réussis à me mettre à son niveau, il eut un mouvement sec du menton dans ma direction et son pas ralentit. Il éclata alors de rire. " Ce pauvre inspecteur ! Il est persuadé que j'ai raisonné. Il me voue une fascination intolérable qui n'a rien à voir avec l'ambiguë relation que nous avons tous les deux ! Je suis sûr qu'il est entré dans la police après avoir dévoré Conan Doyle ! Mais tout le monde s'est trompé. Ce qui fait un bon détective, ce n'est pas le raisonnement et les fables pragmatiques avec lesquelles Conan remplissait ses lignes. Ce qui fait que Sherlock Holmes était grand, c'est qu'il n'ignorait rien de la vie et qu'il aimait les hommes tels qu'ils sont ! Bien sûr que je connais toute l'énigme, mais je ne vais pas enchaîner des raisonnements froids, ce serait trahir la beauté d'une énigme. Je vais rassembler les morceaux épars d'une histoire que j'ai appris à lire, seulement en écoutant. Se taire et écouter, c'est si simple. Ah, Shakespeare, quelle histoire.
- Henri, Henri, calmez- vous. Où est passé Jacques Monnier ? Vous l'avez laissé partir ?
- Jacques Monnier, Jacques Monnier… Oh, oui, je l'ai invité aussi jeudi soir et je vous invite aussi par la même occasion, sur ce, bonsoir."
Je n'eus le temps de ne rien ajouter. Il avait repris ses longues
enjambées et je savais qu'il ne servait à rien que je cherche à le rejoindre. Je ralentis le pas et regardai disparaître la longue silhouette de mon ami que l'électricité nocturne ne put éclairer assez.
Le retour chez moi fut plein de mélancolie. Je me remémorais notre rencontre, l'étrange fascination qu'il exerça tout de suite sur moi et avec quelle désinvolture, il me donna pour mission d'écrire ses aventures:" Vous êtes suffisamment égotiste pour rendre sensationnelle mes petites devinettes!" Je me jurai, une fois de plus, qu'après cette histoire je couperai définitivement les ponts avec cet insupportable prétentieux, ce maniaque et ce goujat. Mais je m'étais tant de fois répété ce serment que je ne pus m'empêcher de sourire. Je ne le quitterai jamais. Sans lui, je n'existais pas et la petite somme que me rapportait l'édition de ses aventures, somme que je ne touchais pas et qu'il ne me réclamait jamais, disparaîtrait tout autant que la renommée qu'il partageait avec moi. Voilà ce qui était insupportable, il analysait sans colère toutes les différentes raisons que j'avais d'être avec lui. Il ne les jugeait pas, il les connaissait et cela le faisait rire. Il ne manquait jamais une occasion de me le rappeler.
Tout en me préparant à ma nuit solitaire, j'obligeais ma pensée à revenir à cette énigme, à reconsidérer ce que je savais et à m'avouer que mon compagnon ne m'avait révélé qu'une partie de son savoir. Je savais très bien pourquoi. Il ne me donnait pas tout pour me laisser mettre en place la dramaturgie du dernier acte. Il se débrouillait pour qu'à chaque fois cela ait lieu sur une scène, dans un jour de relâche de la pièce qu'il présentait. D'ailleurs, l'énigme qu'il résolvait avait toujours un lien de parenté avec la pièce où il était acteur. Un jour que je lui en faisais la remarque, il frappa du poing sur la table et me dit en riant :" C'est que je les choisis mes énigmes, tiens s'il le fallait, j'en créerais une exprès !". Je n'ai jamais su s'il était sérieux.
De toutes façons, il réussit à nouveau. J'en suis à retranscrire cette aventure et il me faut soit faire l'ellipse des deux jours d'impatience dans lesquels je me trouvais, soit les raconter en détail et perdre le lecteur dans une histoire qui n'est pas celle que je veux raconter.
Donc, vint le jeudi soir. Enfin ! Naturellement, je n'avais pas cherché à joindre Henri S., même quand j'étais tombé sur cette critique désastreuse de cette journaliste parisienne plus préoccupée de chanter un solo qui occuperait l'attention que de s'attacher réellement à la pièce… Je savais que notre détective serait d'une humeur massacrante, parce que l'acteur était déçu.
A neuf heures du soir, nous nous retrouvions assis au premier rang, Julie Bonnot, accompagnée d'une jolie jeune fille qui devait être Marie Harti, l'inspecteur Dome, assis entre deux hommes d'âge mûr qui regardaient droit devant eux, évitant de se croiser du regard. L'un devait être M. Monnier et l'autre devait être M. Bonnot. La salle, hormis nous, était vide. Bientôt la lumière s'éteignit et la scène s'éclaira. Henri S. entra, d'un pas rapide. Il se mit droit sur le devant de la scène et commença à parler :
" Il y a quelques temps de cela, l'inspecteur Dome est venu me voir pour une étrange affaire d'informatique. Je n'y connais pas grand chose, mais elle concernait les deux familles les plus importantes en la matière de notre cité, soit vous M. Monnier et vous M. Bonnot."
Je tentais de reconnaître un signe qui me permettrait d'identifier l'un et l'autre, mais j'échouais.
" Si j'ai bien compris l'affaire, M. Dome avait arrêté un mercenaire, un tueur à gage et celui - ci prétendait avoir été engagé par les deux familles pour tuer les dirigeants des deux entreprises. Naturellement, les deux contrats avaient été passés sur internet, via une boîte postale d'un serveur étranger et il était impossible de pouvoir savoir quels étaient les commanditaires. M. Dome, qui est, force m'est de l'avouer, un excellent inspecteur avait toute raison de croire qu'il n' y avait qu'un commanditaire. Celui - ci aurait passé deux contrats pour brouiller les pistes et, tout en préservant la haine des deux familles, s'assurer un certain bénéfice. Melle Marie Harti, vous étiez la seule à qui un tel mobile allait comme un gant. Mais j'ai cherché et fouillé dans votre passé et même si je ne puis certifier que votre gentillesse vis à vis de Melle Bonnot est sans calcul, je puis assurer que rien dans votre passé ne me laisse penser que vous êtes liée de près ou de loin à cette affaire. Je dirai donc à votre amie qu'elle s'assure bien que vous êtes bien là par rapport à un sentiment et non un intérêt matériel et que pour le reste, je me désintéresse de votre cas."
La jolie jeune fille était devenue rouge pivoine. Julie Bonnot lui serra la main avec force et Marie la regarda. Julie sourit.
" Je me disais que je ne pourrais jamais élucider une affaire avec si peu d'éléments quand deux autres affaires se présentèrent à moi. Il y eut d'abord celle des deux morts à coup d'épée que l'intelligence de l'inspecteur Dome a rendu muette dans les médias et, avant - hier, la venue de Melle Bonnot que je ne devrais plus appeler ainsi puisqu'elle m'informa que, depuis peu, elle s'appelait Mme Monnier!"
On aurait pu répéter le mouvement une centaine de fois, jamais nous n'aurions eu un tel ensemble. Je ne pus, d'ailleurs, toujours pas savoir qui était le père de la jeune fille et qui son beau - père… Les deux avaient à la fois une même colère et une même tristesse. Ils allaient parler mais Henri S. les interrompit :
" Asseyez - vous, il n'est pas le temps de se laisser emporter par la passion. Donc, Mme Monnier est venue m'informer de la disparition de son mari. J'attire l'attention que c'est sur le conseil de son amie, Marie Harti, qui m'avait croisé assez souvent quand j'enquêtais sur elle pour me connaître, que Julie Monnier s'est présentée chez moi. Ainsi donc, il ne me restait qu'à trouver une personne, Jacques Monnier, et je saurais un peu plus sur l'ensemble de l'affaire. Il n'était pas très sorcier d'aller chercher du côté de la maison du commerce. Un des cadavres avait été trouvé là, il n'avait pas été transporté, il n'y avait qu'une porte donnant sur l'endroit de sa mort. De plus, si vous allez au cadastre, vous découvrirez que le débarras du sous - sol actuel a été construit sur une cave plus ancienne et plus grande particulièrement bien ventilée. Il m'a fallu alors simplement chercher dans la bibliothèque de la ville pour retrouver les plans de la construction et comprendre où je pourrais trouver une entrée à cette ancienne cave. J'avoue que j'avais de fortes raisons de croire que Jacques Monnier était à l'intérieur. J'aurai pu me rendre en plein jour et sans grand risque, mais j'ai un scribe qui relate mes aventures et je ne peux m'empêcher de lui offrir un peu d'ambiance de mystère sinon mes enquêtes n'intéresseraient personne. Enfin, je l'entraînais à faire un peu de dépense physique sur une étagère à roulettes que mes pieds freinaient et j'ouvris l'entrée de la cave. Jacques Monnier était bien là. En un instant, je compris que mon rapporteur, que j'avais amené plus par facétie que pour de véritables raisons, allait me gêner. Je mis en place une petite mise en scène qui me permettrait de le tenir à l'écart le temps que le jeune marié me raconte son histoire."
Je ne pus me contrôler plus longtemps. Une fois de plus, Henri S. s'était moqué de moi, une fois de plus, je passais pour un imbécile lourdaud. J'étais sûr que les autres devaient se moquer de moi. Terrifié, je jetais un coup d'œil à droite et à gauche. Ils étaient immobiles comme des statues, blancs comme cire. Je regardais à nouveau sur scène.
Un jeune homme fragile, blond, un peu intimidé d'être là, sur scène, se tenait à côté d'Henri S.. Celui - ci passa son bras autour des épaules de Jacques Monnier et, tranquillement, prononça :
" C'est ainsi que toute l'affaire s'éclaircit. Je vous laisse parler, mon cher ami." Il en leva son bras des épaules du jeune marié et, reculant, disparut dans l'ombre.
" Papa, M. Bonnot, c'est moi qui ait passé les contrats." Sa voix étaient fragiles, mais elle avait une sonorité pure et au fur et à mesure de sa confession, il y avait une réelle énergie qui s'en échappait. " Je vous connais, tous les deux, vous êtes identiques. Par orgueil, vous auriez tout fait pour que ce mariage n'ait pas lieu. Nous avons réussi, Julie et moi à passer outre votre surveillance, mais il y aurait le jour où nous devrions vous dévoiler la vérité. Il fallait trouver une parade et l'idée de vous envoyer un tueur à gage a été la première qui me soit venue. J'ignorais tout de lui et je ne savais pas s'il se contenterait d'encaisser la première partie de l'argent que je lui avais versée et de disparaître. Mais je voulais que personne, et, surtout pas, vous deux, n'entravent notre amour. Mais j'ai appris qu'il avait été arrêté, le soir - même de ma première nuit de noces. J'étais désemparé et persuadé que vous remontreriez jusqu'à moi. Il ne me restait qu'une cachette, la salle d'armes. J'ignorais qu'il y avait eu cette double mort. Quand je l'appris, j'étais déjà caché à l'intérieur et je me suis dit que cela m'assurerait un peu de temps avant qu'on me retrouve. Mais le soir où M. S. m'a trouvé, je lui ai tout raconté. Il m'a dit de se cacher dans sa loge et de venir voir la pièce qu'il jouait, peut - être y trouverai - je une solution à mon problème. En effet, je l'ai trouvé. A la fin, les deux héros meurent, parce que leur amour est condamné. De cette condamnation naît une autre Vérone. Je ne veux pas mourir et je ne veux pas que Julie meure. Mais nous voulions un nouveau Vérone. J'ai donc envoyé un virus sur tous les fichiers de vos deux entreprises et en ce moment, tout est en train de disparaître. A la sortie, il ne vous restera que la solution de vous associer si vous voulez garder votre place ou d'être ruinés. Julie, viens, cela ne nous concerne plus. Ah, oui, vous pouvez demander à m'envoyer en prison ne serait - ce que parce que j'ai voulu votre mort. Mais réfléchissez à l'influence néfaste que pourrait avoir une telle affaire si vous ne retirez pas vos plaintes ou si la police continue de me poursuivre…"
Jacques tendit la main et Julie, seule, le rejoignit sur scène. Ils se retournèrent et sortirent sous une lumière dorée. Près de moi, les deux hommes se levèrent, il y eut un long moment suspendu. L'un d'eux tendit une main et l'autre la serra. Chacun de leur côté, il quittèrent le théâtre. Je souris courtoisement à mademoiselle Harti et elle se leva, me rendit mon sourire, hésita un instant en regardant vers la scène, puis prit la direction du haut des escaliers. L'inspecteur Dome se dirigea, me serra la main avec fougue et ne put retenir un" Quel homme !" qui me morfondit. Je le laissais monter vers la sortie et le suivit de loin.
Je savais qu'il était inutile de chercher Henri S. Tout au moins, j'aurais dû fouiller tout le théâtre et je ne l'aurai peut - être pas trouvé. L'enquête était finie, il fallait retourner chez soi.
Sur mon répondeur, il y avait un message. Dès le début je reconnus la voix d'Henri S. J'effaçais sans écouter la suite. Je ne voulais plus en entendre parler.

N.D.E.: Il n'aura pas échappé au lecteur qu 'il ne lui a été donné aucune solution en ce qui concerne les deux morts de la chambre de commerce. Il semblerait qu'Henri S. ait tenté de donner, par téléphone, les explications concernant cette affaire. Malencontreusement, le message n'a pas été écouté. Cependant, l'article qui parut dans la presse le lendemain donnera un nouvel éclairage à ceux qui ne manqueraient pas de s'interroger.
Article du 15. 03. : " UNE ASSOCIATION DE COLLECTIONNEURS D'ARMES BLANCHES ET DEUX MORTS" " Il semblerait que notre petite ville cachent d'étranges groupuscules. Ainsi, le 13. 03, l'inspecteur Dome, de la police criminelle, aurait découvert, sous notre Maison du Commerce un gymnase illégal où on s'entraînait au duel à l'arme blanche. Celui - ci n'aurait peut - être jamais été découvert si deux personnes de sexe masculin, Thierry Blât., informaticien, et Marcel Scio, concepteur de programmes, n'avaient été trouvés morts près de la Maison du Commerce. Tous deux avaient péri des suites d'une blessure à l'arme blanche. La fouille du gymnase clandestin a révélé deux rapières portant les marques d'ADN de chacune des victimes. Il semblerait qu'au cours d'un duel, ils se soient blessés tous les deux mortellement. Marcel Scio, malgré sa blessure se serait traîné jusque devant la Maison du commerce. La police enquête pour trouver tous ceux qui de près ou de loin aurait connu et participé aux activités de cet étrange Gymnase."

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